(English below)
Le procès des 10 personnes exilées poursuivies pour trafic d’êtres humains, participation à une organisation criminelle et séjour illégal qui s’est déroulé ce vendredi 24 mai a révélé, une fois encore, l’influence de la politique et de la police sur la justice de notre pays.
Toute personne ayant assisté à l’audience ne peut que conclure à la vacuité du dossier, aux défaillances et à la fragilité de l’enquête et du procès tout comme aux positions de principe sur lesquelles se base le réquisitoire de la procureure. Les négligences vont jusqu’au non respect des droits des inculpés puisque les avocats n’ont finalement découvert les faits reprochés que lors de l’audience, sans possibilité de préparer leur défense avec leurs clients. De plus, les peines demandées reposent sur des enquêtes à charge, très couteuses, moyennant une démonstration de la preuve très faible, voire inexistante. Pas de victimes, pas d’argent, quelques photos, des écoutes téléphoniques, messenger, des témoignages peu fiables et obtenus dans des circonstances floues voire contestables. Des personnes qui prennent des trains, vivent dans des squats et tentent de passer la frontière dans des camions. Où sont donc les fameux trafiquants ?
Les accusations qui pèsent sur les inculpés sont très graves et les peines encourues, allant jusqu’à sept années de prison, sont extrêmement lourdes pour de jeunes personnes cherchant à construire un avenir et dont la culpabilité n’est pas démontrée. Nous sommes tou.te.s en droit d’attendre de la justice qu’elle prenne ses responsabilités, et qu’elle considère son indépendance à la hauteur de son importance dans un système prétendu démocratique.
Et quid des écoutes, à l’heure de l’inquiétude sur le traçage de la population. Ne devrions-nous pas questionner le fait que des dizaines de gsm soient mis sur écoute de la sorte ? Que la police et la justice aient investi des milliers d’euros pour écouter, transcrire, traduire des conversations mais aussi observer des parkings, des gares, des squats, des gens, pour ne finalement rien apporter comme preuve ? Et que malgré tout, des gens soient mis en prison au seul prétexte que leur nom, parfois assez courant, soit entendu ou lu dans une conversation, sans que l’identité ne soit même attestée et sans tests de reconnaissance vocale pour confirmer les hypothèses policières alors même qu’ils étaient demandés par la défense?
Ces négligences semblent peu inquiéter lorsque les inculpés sont des personnes sans papiers et quasi sans droits. C’est bien une des conclusions choquantes de cette audience. Or, un système judiciaire qui s’adonne à ce type de pratiques où les logiques de la police, de la politique et de la justice tendent à se confondre devraient inquiéter tout le monde. Car une fois mises en place, elles ont bien tendance à se développer dans tout le reste de la société.
A cet égard, il est important de noter que l’illégalité du séjour, pourtant dépénalisée il y a longtemps dans l’Union Européenne, s’ajoute également aux motifs de poursuites et pèse sur les inculpés. Une illégalité manifeste dans laquelle l’Etat les place, devrait-on dire volontairement. Le language employé en dit d’ailleurs long sur la pénétration de l’idéologie xénophobe voire raciste chez les représentant.e.s de l’Etat. « Illégaux » (illegalen) ou de manière moins choquante « transmigrants » ne sont pas des termes qui relèvent du vocabulaire juridique mais bien du politique.
Il faut aussi noter que le continuum entre une supposée « migration illégale » et le trafic d’êtres humains semble s’établir naturellement pour les représentants du pouvoir. Du migrant au traffiquant, dans les discours comme les cours, il n’y aurait donc qu’un pas. Le statut administratif d’une personne détermine-t-il son traitement par la justice ? Cette affaire en apporte encore un exemple navrant.
Elle est donc bien loin l’idée que des personnes sans papiers puissent être solidaires pour parvenir à subvenir à leurs besoins et arriver à leurs fins ; une vie libre et meilleure. Elles sont d’office suspectes, considérées a priori comme criminelles. Or, le passage illégal de frontière est malheureusement souvent un passage obligé dans un système qui pousse à la misère comme à l’illégalité. Et ces pratiques mettent plus en danger les personnes concernées qu’elles ne font de mal à autrui. Par contre, l’entraide, le partage d’informations et de ressources, font partie des pratiques indispensables pour s’en sortir. Loin de ne qualifier que les résidents ou les hébergeur.euses, les personnes sans papiers elles-mêmes sont souvent les premières solidaires. Pour nous, ce procès relève de la criminalisation de la solidarité.
Reste donc que la conclusion principale d’une audience de quasi six heures réside dans le fait que le parquet demande des peines immenses pour des crimes qui ne sont pas prouvés, basées sur des préjugés politiques bien plus que sur des faits.
Tragiquement, trois personnes sont incarcérées depuis de long mois dans cette affaire qui tend à ressembler à bien d’autres par ses biais. A quand la reconnaissance que ces procès ne sont que des écrans de fumée pour faire du chiffre et justifier de politiques xénophobes, le bras juridique d’une répression politique contre des gens qui ne font que braver les obstacles que les politiques migratoires, sociales, sanitaires, économiques mettent sur leur chemin ?
Le procès continue le 5 juin pour un complément de plaidoirie suite à des éléments non transmis par le parquet concernant un inculpé.
Tribunal de Bruxelles, 1, place Poelaert.
Toute les personnes concernées par les dérives judiciaires et le sort des exilés sont bienvenues.
Minutes: Migration back on trial, when will there be a justice system independent of the police and politics?
The trial of the 10 people in exile prosecuted for human trafficking, participation in a criminal organization and illegal stay, which took place on Friday, May 24, revealed, once again, the influence of politics and the police on justice in our country.
Anyone who attended the hearing can only conclude that the case file is empty, that the investigation and the trial are flawed and fragile, and that the prosecutor’s indictment is based on political principles. Negligence goes so far as to disregard the rights of the accused, since the lawyers did not know about the alleged facts until the hearing, without the possibility of preparing their defence with their clients. Moreover, the sentences sought are based on incriminating investigations, which are very costly, with little or no evidence. No victims, no money, a few photos, phone tapping, messenger, unreliable testimony obtained in unclear or even questionable circumstances. People taking trains, living in squats and trying to cross the border in trucks. Where are the famous traffickers?
The charges against the accused are very serious and the sentences incurred, up to seven years of jail, are extremely heavy for young people who are trying to build a future and whose guilt is not proven. We all have the right to expect the judiciary to take responsibility and to consider its independence as important as it is in a so-called democratic system.
And what about the phone tapping, at a time of concern about the tracing of the population. Should we not question the fact that dozens of mobile phones are being bugged in this way? That the police and the judiciary have invested thousands of euros to listen, transcribe and translate conversations, but also to observe car parks, stations, squats and people, only to end up with nothing as proof? And that despite everything, people are put in prison just because their name, sometimes quite common, is heard or read in a conversation, without their identity even being attested and without voice recognition tests to confirm police hypotheses even though they were requested by the defense?
These omissions seem to be of little concern when the accused are undocumented and almost without rights. This is indeed one of the shocking conclusions of this hearing. A judicial system that engages in this type of practice, where the logic of the police, politics and justice tend to merge, should be of concern to everyone. Because once they are put in place, they tend to spread throughout the rest of society.
In this respect, it is important to note that the illegality of residence, although decriminalised a long time ago in the European Union, also adds to the grounds for prosecution and weighs on the accused. A manifest illegality in which the State places them, it should be said voluntarily. The language used says a lot about the penetration of xenophobic or even racist ideology among state representatives. « Illegal » (illegalen) or, less shockingly, « transmigrants » are not terms that belong to the legal vocabulary but to politics.
It should also be noted that the continuum between alleged « illegal migration » and trafficking in human beings seems to be a natural one for those in power. From the migrant to the trafficker, in speeches like in court, it would only be a step. Does a person’s administrative status determine how he or she is treated by the justice system? This case is yet another distressing example of it.
It is a far cry from the idea that undocumented people can work together to provide for themselves and achieve their ends; a free and better life. They are automatically suspect, considered a priori as criminals. Illegal border crossings are unfortunately often a necessary journey in a system that leads to poverty and illegality. And these practices endanger the people concerned more than they do harm to others. On the other hand, mutual assistance, sharing of information and resources, are among the practices that are indispensable to get out of it. Far from qualifying only residents or hosting people, undocumented migrants themselves are often the first people to show solidarity. For us, this trial is about criminalization of solidarity.
The main conclusion of a hearing that lasted almost six hours is that the public prosecutor is asking for huge sentences for crimes that are not proven, based on political prejudices rather than facts.
Tragically, three people have been incarcerated for many months in this case, which tends to resemble many others by its very nature. When will it be recognised that these trials are nothing but smoke screens to justify xenophobic policies, the legal arm of a political repression against people who are only braving the obstacles that migration, social, health and economic policies put in their way?
The trial continues on 5 June for a supplementary plea following elements not transmitted by the public prosecutor’s office concerning a defendant.
Court of Brussels, 1, place Poelaert.
All those concerned by the judicial abuses and the fate of the exiles are welcome.